Le manque d’eau à Libreville : au-delà de la simple question de la quantité disponible
Après neuf mois d’étude sur le sujet de l’approvisionnement en eau dans le Grand Libreville, des résultats significatifs ont été présentés lors de l’atelier de restitution du rapport final, qui s’est tenu le 5 décembre dernier à Libreville.
Rappelons que Phoenix, en collaboration avec Cible Etudes & Conseil, avait été mandaté pour réaliser une étude socio-économique sur la problématique du manque d’eau à Libreville. Cette étude, menée pour le compte du Programme Intégré d’Alimentation en Eau Potable du Grand Libreville (PIAEPAL), visait à analyser la situation en amont des projets d’investissements et des travaux prévus par ce programme.
Car Libreville connaît un approvisionnement en eau problématique : malgré un taux de desserte au service public élevé, les coupures sont légion :
- seulement 16% des ménages abonnés au service public se disent approvisionnés H24,
- 75% connaissent des coupures (allant de quelques heures par semaine pour 9% jusqu’à plusieurs semaines de suite pour 10%) et,
- 9% n’ont même jamais d’eau.
L’étude s’est appuyée sur des enquêtes menées auprès de 817 ménages, 76 opérateurs économiques, 48 établissements scolaires, 49 centres de santé, 63 vendeurs d’eau privés, ainsi que 5 ONG opérant dans le secteur de l’eau. Douze groupes de discussion (focus group) ont également été organisés pour compléter les données quantitatives par des informations qualitatives. Les enquêtes ont couvert les quatre communes du Grand Libreville, à savoir les six arrondissements de Libreville, Akanda, Owendo et Ntoum.
Un premier rapport d’étude a présenté l’ensemble des données analysées. Le rapport final, quant à lui, a permis de tirer des enseignements clés, apportant un regard plus nuancé et renouvelé sur la question de l’impact du manque d’eau.
Une nouvelle définition du manque d’eau
L’un des points majeurs de l’étude a été la caractérisation du manque d’eau. Comment qualifier les pénuries d’eau ? Cette problématique ne se limite pas à une simple question de quantité disponible, mais s’étend à plusieurs autres facteurs. Le manque d’eau est généralement perçu sous trois angles : l’accès (distance au point d’eau), la disponibilité (quantité d’eau disponible) et la stabilité (variations temporelles de l’approvisionnement). Cependant, cette étude a révélé que la réalité du manque d’eau sur les ménages et les opérateurs économiques et institutionnels dépasse ces trois dimensions.
L’accès, la disponibilité et la stabilité : des facteurs interconnectés
L’étude a permis de mieux comprendre la relation entre ces trois critères :
- L’accès : Bien que le taux de desserte à Libreville soit assez généralisé, autour de 90%, il ne constitue pas à lui seul une explication suffisante du manque d’eau. En effet :
- parmi les abonnés au service de la SEEG, 38% des ménages indiquent ressentir le manque d’eau, ce qui confirme le fait qu’un bon taux de desserte ne garantit pas forcément un accès suffisant à l’eau ;
- Parmi les ménages non abonnés, 53% considèrent manquer d’eau.
- La disponibilité : La disponibilité de l’eau (la quantité disponible) ne semble pas non plus être le seul facteur explicatif du sentiment de manque d’eau. En effet, les ménages abonnés qui se déclarent impactés par la pénurie de l’eau déclarent des niveaux de consommation similaires, toutes sources confondues, à ceux qui ne se sentent pas impactés. La quantité d’eau disponible est en revanche très discriminante chez les ménages non abonnés, entre ceux qui se sentent impactés par le manque d’eau et les autres
- La stabilité de l’approvisionnement : La stabilité du service d’eau se révèle être un facteur crucial, bien que cette perception varie selon les ménages : 54 % des ménages se déclarant comme impactés par le manque d’eau jugent les coupures comme insupportables, contre seulement 36% chez les ménages se considérant comme non impactés. De même, la pression de l’eau est perçue de manière plus sévère par ceux qui se considèrent comme impactés par le manque d’eau.
Le poids des stratégies palliatives est révélateur du ressenti des ménages
Au-delà des sujets de stabilité de l’approvisionnement, le sujet le plus intéressant a été de constater que les ménages qui se déclarent comme impactés par le manque d’eau sont ceux qui subissent au quotidien les conséquences les plus lourdes. En raison des coupures fréquentes et des problèmes de pression, les ménages abonnés sont contraints de mettre en place des stratégies palliatives, avec en premier lieu le recours à des sources alternatives d’approvisionnement, qu’il s’agisse de puits, de camions-citernes ou de vendeurs privés d’eau. Ces solutions sont souvent plus coûteuses et prennent du temps, notamment en raison des distances supplémentaires à parcourir et du temps d’attente.
Un autre résultat marquant est l’émergence d’un véritable marché privé de l’eau, vers lequel les consommateurs sont contraints de se tourner, bien que ces sources soit nettement plus onéreuses que le service de la SEEG.
Ainsi, les ménages se disant les plus touchés par la crise de l’eau sont ceux qui ressentent plus intensément l’impact du manque d’eau à cause du poids financier, logistique et en temps des solutions palliatives qu’ils mettent en place.
Le manque d’eau à travers le prisme du genre et de la vulnérabilité socio-économique
Deux autres volets importants de l’étude ont été l’analyse du manque d’eau sous l’angle du genre et de la vulnérabilité socio-économique.
- Le genre : Bien que ce soit les hommes qui prennent plus souvent en charge la corvée d’eau, l’étude a mis en lumière le rôle spécifique des femmes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du foyer, dans la gestion de l’eau. Elle a également abordé la situation particulière des ménages dirigés par des femmes chefs de ménage (213 ménages).
- La vulnérabilité socio-économique : Une analyse a été conduite sur les ménages vulnérables, définis par leur appartenance au premier et au deuxième quintile de revenus, et incluant les personnes âgées et les enfants à charge (287 ménages). Ces ménages rencontrent des difficultés accrues pour accéder à de l’eau potable, en raison de leurs ressources limitées.
En somme, cette étude met en évidence la complexité du manque d’eau à Libreville, soulignant la nécessité d’améliorer le service public.